Mesures gouvernementales contre la vie
chère et rentrée des classes : véritable cadeau ou cadeau empoisonné ?
Le contexte principal dans
lequel ces mesures ont été prises est celui de la vie chère. A ce contexte
s’ajoute celui de la rentrée des classes, tant au niveau scolaire
qu’universitaire. En sus donc de
l’atténuation de la vie chère, ces mesures se présentent aussi comme un
« cadeau » du gouvernement aux populations à la veille de la rentrée.
Toutefois, au vu des caractéristiques de l’économie burkinabè et du comportement
des agents économiques (commerçants, bailleurs de maisons, consommateurs,
producteur, etc.), on est en droit de se poser la question : s’agit-il
d’un véritable cadeau ou d’un cadeau empoisonné ? Avant, jetons un regard
sur le type de mesures et les bénéficiaires.
Les mesures prises par le
gouvernement peuvent être regroupées en deux catégories : des mesures
conjoncturelles et des mesures structurelles. Les mesures structurelles sont
celles visant les salaires des travailleurs des secteurs public et privé, la
construction d’infrastructures universitaires et enfin le relèvement des aides
et prêts FONER[1] au
profit des étudiants. Ces mesures ont un caractère temporel indéterminé. A
compter de la date d’entrée en vigueur, elles auront cours jusqu’à une
prochaine modification.
Les mesures conjoncturelles,
quant à elles, ont une durée limitée et connue. Le ministre a annoncé ces
mesures pour le reste de l’année 2013, soit une durée de 3 mois. Il s’agit de
mesures telles que la consolidation des filets sociaux en faveur des groupes
vulnérables, le recrutement de volontaires et de jeunes et femmes pour les travaux
à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO). En outre, certaines de ces mesures
conjoncturelles peuvent indirectement avoir des effets à long terme. Il s’agit
des mesures de financement des jeunes diplômés et des projets. Ces financements
pourraient permettre de créer un cycle positif de création d’emploi, pourvu que
les projets financés arrivent à être viables.
Un autre aspect relatif à ces
mesures concerne les acteurs touchés par ces mesures. On voit de façon
perceptible que le gouvernement a fourni un effort considérable pour prendre en
compte le maximum d’acteurs de la population Burkinabè. Toutefois, certains
acteurs sont plus touchés par ces mesures que d’autres. Si l’on peut dire
qu’une mesure comme la mise en place de boutiques témoins concerne toute la
population, d’autres mesures, par contre, concernent des acteurs bien
identifiés (travailleurs des secteurs public et privé, étudiants, certains
groupes vulnérables, etc.).
Le comportement des agents
économiques Burkinabè montre que les annonces de hausse de salaires (quelle que
soit la nature de cette hausse) conduisent à une hausse des prix. Cela
s’explique par la loi de l’offre et de la demande. Certains acteurs (les
commerçants par exemple) justifient les hausses de prix par le fait que les
autres acteurs (les fonctionnaires par exemple) ayant plus de revenus, cela
signifie donc qu’ils ont les moyens de payer plus pour le même produit. Par le
passé, on a déjà vu de très fortes hausses de prix justifiées par le fait que
pendant longtemps, ces prix avaient été maintenus afin de ne pas envenimer la situation
sociale, bien que les acteurs concernés aient soutenu ne pas faire de profit
avec les anciens prix.
Ainsi, rien n’est moins sûr quant
à des hausses probables de certains produits sur le marché. Le gouvernement à
la suite de ces mesures a entamé des discussions avec un ensemble d’acteurs
afin d’aboutir à des réductions de prix de certains produits de grande consommation
tels que le riz, le maïs, l’huile ou encore le sucre. Au moment où nous
écrivions cet article, ces négociations étaient toujours en cours. Cependant,
les risques de hausses sont bien réels dans d’autres secteurs et sur d’autres
produits, notamment au niveau de l’immobilier. Les prix des loyers risquent
très probablement de connaitre des hausses si ce n’est déjà fait ; d’autant
plus que la hausse annoncée des salaires concerne essentiellement l’indemnité
de logement.
Quand on sait donc que les
hausses de salaires constituent le plus souvent des signaux utilisés par certains
acteurs économiques pour augmenter les prix des produits de consommation d’où
une spirale inflationniste, les Burkinabè ont de bonnes raisons de s’inquiéter
par rapport à la rentrée imminente des classes.
La rentrée des classes est une période de l’année au cours de laquelle les parents d’élèves et d’étudiants sont fortement éprouvés sur le plan financier. En effet, en plus des dépenses habituelles du ménage (loyer, santé, nourriture, etc.) s’ajoutent les dépenses d’éducation des enfants. Ces dépenses comprennent, entre autres, les frais de scolarité, l’achat des manuels et fournitures scolaires, etc. Une hausse des salaires conjuguée à une baisse de prix des produits de grande consommation ne peut être qu’un cadeau exceptionnel que le gouvernement pourrait offrir à sa population. Une telle situation agirait à deux niveaux.
Dans un premier temps, la
hausse des salaires va entraîner une hausse du pouvoir d’achat des agents
économiques, en d’autres termes, ils pourront acheter plus de biens qu’ils ne
pouvaient se permettre. Dans un second temps, la baisse des prix des produits
de grande consommation va se traduire par une autre hausse du pouvoir d’achat
des agents. En cumulant donc ces deux effets, les agents économiques se
retrouvent encore plus à l’aise face à la rentrée. D’une part, les dépenses
habituelles sont atténuées et d’autre part, la capacité à faire face aux
dépenses de rentrée est accrue. On a alors une augmentation des possibilités
des agents économiques, d’où une amélioration de leur bien-être. L’effet des
mesures gouvernementales que nous venons de décrire ne peut être possible qu’à
condition que le gouvernement arrive effectivement à maîtriser ou à contenir
une éventuelle spirale inflationniste à venir. Les effets que nous venons de
décrire nécessitent que aussi bien la hausse des salaires que la baisse des
prix ne soient pas dérisoires.
Dans le cas où le gouvernement n’arrive pas maîtriser la spirale inflationniste qui pourrait apparaitre suite aux dernières mesures contre la vie chère, les populations Burkinabè risquent de vivre une rentrée des classes assez difficile. La hausse des salaires ne concerne que les agents de la fonction publique (indemnité de logement et baisse de l’IUTS[2]) et les agents du secteur privé formel à travers la baisse de l’IUTS. Comme nous l’avions expliqué plus haut, cette hausse des salaires qui ne concernent qu’un nombre bien limité d’acteurs économiques, pourrait entraîner une hausse de prix de certains produits et créer une spirale inflationniste. Les autres acteurs, en l’occurrence les commerçants, se sentant « mis à l’écart[3] » peuvent réagir en faisant évoluer leur prix à la hausse. En général, lorsque les prix augmentent dans un secteur, on observe une sorte de « ruissellement » qui entraine des hausses de prix dans les autres secteurs. Les prix des fournitures scolaires tout comme les frais de scolarité pourraient connaître des hausses. Ainsi, une spirale inflationniste se crée. Non seulement les dépenses habituelles vont augmenter mais aussi du fait d’une augmentation plus que prévue des dépenses liées à la rentrée, on aura finalement des dépenses plus que proportionnelles à l’augmentation des salaires. Pour les acteurs n’ayant pas bénéficié d’augmentation de salaire, la situation sera encore plus difficile. Le risque de dégradation du niveau de vie de la population est bien réel. Ces mesures seraient alors perçues comme un trompe-œil qui n’arrangeraient rien dans la situation actuelle.
Pour ne pas tomber dans une
situation de rentrée difficile pour les populations, le gouvernement doit être
plus vigilant sur l’évolution des prix ainsi que leur contrôle. Lors de
l’annonce des mesures contre la vie chère, le ministre a annoncé le renforcement
de la capacité des structures de contrôle des prix avec une enveloppe de 1
milliard de Francs CFA. Cette mesure est très salutaire et permettra d’avoir
une certaine maîtrise au niveau des prix. L’accroissement des contrôles va amener
les acteurs économiques à ne pas manipuler les prix à leur guise. Aussi, si la
baisse annoncée des prix de certains produits de grande consommation venait à
être effective dans les délais annoncés, l’effet des mesures prises par le
gouvernement contre la vie chère serait encore plus perceptible au sein de la
population.
En conclusion, il existe bien
un risque de hausse des prix suite aux mesures prises par le gouvernement
contre la vie chère. Ce qui serait de nature à perturber les ménages plus que
d’habitude dans ce contexte de rentrée des classes. Le « cadeau » de
rentrée que le gouvernement veut offrir aux populations peut donc s’avérer être
un « cadeau empoisonné ». La
baisse des prix à venir pour certains produits de grande consommation et le
renforcement du contrôle des prix doivent permettre de contrer une hausse
éventuelle des prix. Dès lors, les mesures connaitront une efficacité certaine
et la rentrée des classes sera plus joyeuse que d’habitude pour les parents
d’élèves et d’étudiants.
[1] Fonds National pour l’Education et
la Recherche
[2] Impôt Unique sur le Traitement des
Salaires
[3] Par exemple, une mesure comme la
baisse du prix du carburant concernera plus d’acteurs qu’une baisse de salaire
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