lundi 4 novembre 2013

Mesures gouvernementales contre la vie chère et rentrée des classes : véritable cadeau ou cadeau empoisonné ?

Mesures gouvernementales contre la vie chère et rentrée des classes : véritable cadeau ou cadeau empoisonné ?
 
 
Le mercredi 11 septembre 2013, le Ministre de l’Economie et des Finances a annoncé un ensemble de mesures fortes (compte-rendu du Conseil des Ministres du mercredi 11 septembre 2013) visant à atténuer les difficultés que vivent les populations au quotidien, dans un premier temps. Dans un second temps, ces mesures devraient permettre d’améliorer les conditions de vie des Burkinabè. D’un coût global de 64 766 699 948 Francs CFA, ces mesures ont été prises « dans le soucis d’apporter des réponses adéquates aux préoccupations des différentes couches sociales ». Ces mesures n’ayant pas été prévues dans l’exercice budgétaire de 2013, elles vont probablement entraîner le vote d’une loi de finance rectificative.
Le contexte principal dans lequel ces mesures ont été prises est celui de la vie chère. A ce contexte s’ajoute celui de la rentrée des classes, tant au niveau scolaire qu’universitaire.  En sus donc de l’atténuation de la vie chère, ces mesures se présentent aussi comme un « cadeau » du gouvernement aux populations à la veille de la rentrée. Toutefois, au vu des caractéristiques de l’économie burkinabè et du comportement des agents économiques (commerçants, bailleurs de maisons, consommateurs, producteur, etc.), on est en droit de se poser la question : s’agit-il d’un véritable cadeau ou d’un cadeau empoisonné ? Avant, jetons un regard sur le type de mesures et les bénéficiaires.
Les mesures prises par le gouvernement peuvent être regroupées en deux catégories : des mesures conjoncturelles et des mesures structurelles. Les mesures structurelles sont celles visant les salaires des travailleurs des secteurs public et privé, la construction d’infrastructures universitaires et enfin le relèvement des aides et prêts FONER[1] au profit des étudiants. Ces mesures ont un caractère temporel indéterminé. A compter de la date d’entrée en vigueur, elles auront cours jusqu’à une prochaine modification.
Les mesures conjoncturelles, quant à elles, ont une durée limitée et connue. Le ministre a annoncé ces mesures pour le reste de l’année 2013, soit une durée de 3 mois. Il s’agit de mesures telles que la consolidation des filets sociaux en faveur des groupes vulnérables, le recrutement de volontaires et de jeunes et femmes pour les travaux à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO). En outre, certaines de ces mesures conjoncturelles peuvent indirectement avoir des effets à long terme. Il s’agit des mesures de financement des jeunes diplômés et des projets. Ces financements pourraient permettre de créer un cycle positif de création d’emploi, pourvu que les projets financés arrivent à être viables. 
Un autre aspect relatif à ces mesures concerne les acteurs touchés par ces mesures. On voit de façon perceptible que le gouvernement a fourni un effort considérable pour prendre en compte le maximum d’acteurs de la population Burkinabè. Toutefois, certains acteurs sont plus touchés par ces mesures que d’autres. Si l’on peut dire qu’une mesure comme la mise en place de boutiques témoins concerne toute la population, d’autres mesures, par contre, concernent des acteurs bien identifiés (travailleurs des secteurs public et privé, étudiants, certains groupes vulnérables, etc.).
Le comportement des agents économiques Burkinabè montre que les annonces de hausse de salaires (quelle que soit la nature de cette hausse) conduisent à une hausse des prix. Cela s’explique par la loi de l’offre et de la demande. Certains acteurs (les commerçants par exemple) justifient les hausses de prix par le fait que les autres acteurs (les fonctionnaires par exemple) ayant plus de revenus, cela signifie donc qu’ils ont les moyens de payer plus pour le même produit. Par le passé, on a déjà vu de très fortes hausses de prix justifiées par le fait que pendant longtemps, ces prix avaient été maintenus afin de ne pas envenimer la situation sociale, bien que les acteurs concernés aient soutenu ne pas faire de profit avec les anciens prix.
Ainsi, rien n’est moins sûr quant à des hausses probables de certains produits sur le marché. Le gouvernement à la suite de ces mesures a entamé des discussions avec un ensemble d’acteurs afin d’aboutir à des réductions de prix de certains produits de grande consommation tels que le riz, le maïs, l’huile ou encore le sucre. Au moment où nous écrivions cet article, ces négociations étaient toujours en cours. Cependant, les risques de hausses sont bien réels dans d’autres secteurs et sur d’autres produits, notamment au niveau de l’immobilier. Les prix des loyers risquent très probablement de connaitre des hausses si ce n’est déjà fait ; d’autant plus que la hausse annoncée des salaires concerne essentiellement l’indemnité de logement.
Quand on sait donc que les hausses de salaires constituent le plus souvent des signaux utilisés par certains acteurs économiques pour augmenter les prix des produits de consommation d’où une spirale inflationniste, les Burkinabè ont de bonnes raisons de s’inquiéter par rapport à la rentrée imminente des classes.

La rentrée des classes est une période de l’année au cours de laquelle les parents d’élèves et d’étudiants sont fortement éprouvés sur le plan financier. En effet, en plus des dépenses habituelles du ménage (loyer, santé, nourriture, etc.) s’ajoutent les dépenses d’éducation des enfants. Ces dépenses comprennent, entre autres, les frais de scolarité, l’achat des manuels et fournitures scolaires, etc. Une hausse des salaires conjuguée à une baisse de prix des produits de grande consommation ne peut être qu’un cadeau exceptionnel que le gouvernement pourrait offrir à sa population. Une telle situation agirait à deux niveaux.
Dans un premier temps, la hausse des salaires va entraîner une hausse du pouvoir d’achat des agents économiques, en d’autres termes, ils pourront acheter plus de biens qu’ils ne pouvaient se permettre. Dans un second temps, la baisse des prix des produits de grande consommation va se traduire par une autre hausse du pouvoir d’achat des agents. En cumulant donc ces deux effets, les agents économiques se retrouvent encore plus à l’aise face à la rentrée. D’une part, les dépenses habituelles sont atténuées et d’autre part, la capacité à faire face aux dépenses de rentrée est accrue. On a alors une augmentation des possibilités des agents économiques, d’où une amélioration de leur bien-être. L’effet des mesures gouvernementales que nous venons de décrire ne peut être possible qu’à condition que le gouvernement arrive effectivement à maîtriser ou à contenir une éventuelle spirale inflationniste à venir. Les effets que nous venons de décrire nécessitent que aussi bien la hausse des salaires que la baisse des prix ne soient pas dérisoires.

Dans le cas où le gouvernement n’arrive pas maîtriser la spirale inflationniste qui pourrait apparaitre suite aux dernières mesures contre la vie chère, les populations Burkinabè risquent de vivre une rentrée des classes assez difficile. La hausse des salaires ne concerne que les agents de la fonction publique (indemnité de logement et baisse de l’IUTS[2]) et les agents du secteur privé formel à travers la baisse de l’IUTS. Comme nous l’avions expliqué plus haut, cette hausse des salaires qui ne concernent qu’un nombre bien limité d’acteurs économiques, pourrait entraîner une hausse de prix de certains produits et créer une spirale inflationniste. Les autres acteurs, en l’occurrence les commerçants, se sentant « mis à l’écart[3] » peuvent réagir en faisant évoluer leur prix à la hausse. En général, lorsque les prix augmentent dans un secteur, on observe une sorte de « ruissellement » qui entraine des hausses de prix dans les autres secteurs. Les prix des fournitures scolaires tout comme les frais de scolarité pourraient connaître des hausses. Ainsi, une spirale inflationniste se crée. Non seulement les dépenses habituelles vont augmenter mais aussi du fait d’une augmentation plus que prévue des dépenses liées à la rentrée, on aura finalement des dépenses plus que proportionnelles à l’augmentation des salaires. Pour les acteurs n’ayant pas bénéficié d’augmentation de salaire, la situation sera encore plus difficile. Le risque de dégradation du niveau de vie de la population est bien réel. Ces mesures seraient alors perçues comme un trompe-œil qui n’arrangeraient rien dans la situation actuelle.
Pour ne pas tomber dans une situation de rentrée difficile pour les populations, le gouvernement doit être plus vigilant sur l’évolution des prix ainsi que leur contrôle. Lors de l’annonce des mesures contre la vie chère, le ministre a annoncé le renforcement de la capacité des structures de contrôle des prix avec une enveloppe de 1 milliard de Francs CFA. Cette mesure est très salutaire et permettra d’avoir une certaine maîtrise au niveau des prix. L’accroissement des contrôles va amener les acteurs économiques à ne pas manipuler les prix à leur guise. Aussi, si la baisse annoncée des prix de certains produits de grande consommation venait à être effective dans les délais annoncés, l’effet des mesures prises par le gouvernement contre la vie chère serait encore plus perceptible au sein de la population.
En conclusion, il existe bien un risque de hausse des prix suite aux mesures prises par le gouvernement contre la vie chère. Ce qui serait de nature à perturber les ménages plus que d’habitude dans ce contexte de rentrée des classes. Le « cadeau » de rentrée que le gouvernement veut offrir aux populations peut donc s’avérer être un « cadeau empoisonné ».  La baisse des prix à venir pour certains produits de grande consommation et le renforcement du contrôle des prix doivent permettre de contrer une hausse éventuelle des prix. Dès lors, les mesures connaitront une efficacité certaine et la rentrée des classes sera plus joyeuse que d’habitude pour les parents d’élèves et d’étudiants.
 
 
 
                                                                                                                                                              




[1] Fonds National pour l’Education et la Recherche
[2] Impôt Unique sur le Traitement des Salaires
[3] Par exemple, une mesure comme la baisse du prix du carburant concernera plus d’acteurs qu’une baisse de salaire

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire