La théorie du
capital humain postule que l'éducation est l'un des moyens par lequel un pays
peut améliorer significativement la productivité de sa main-d’œuvre et
augmenter de manière durable sa croissance économique. Dans une étude sur les
USA, Denison (1985) trouve que l'augmentation du niveau d'éducation du
travailleur moyen entre 1929 et 1982 explique près du quart de la croissance du
revenu par tête sur la période.
Le lien entre la formation et la croissance est donc bien
établi depuis longtemps. Toutefois, il faut noter que la croissance doit
nécessairement être accompagnée par une augmentation du niveau de l’emploi. A
défaut de création d’emploi, la croissance peut se muer à terme en
décroissance. Le cas tunisien est l’exemple le plus patent de cette situation.
En effet, la Tunisie était un modèle en matière de performances économiques en
Afrique. Mais ces performances économiques n’ont pas empêché la crise que ce
pays a connu lors de la Révolution du Jasmin en début 2011; crise qui a trouvé
son origine dans le sous-emploi massif des jeunes tunisiens.
La question de la relation formation-emploi reste
toujours d’actualité. Plus précisément, elle se pose de façon beaucoup plus pressante
dans les économies ouest-africaines du fait du niveau relativement élevé de la
pauvreté (plus de 40 % en moyenne des populations ouest-africaines est pauvre),
de la faiblesse de taux de croissance réelle, de la stabilité précaire des
différentes économies de cette région, etc.
Les raisons de l’inadéquation entre la formation et
l’emploi
Les principales
raisons de l’inadéquation entre la formation et l’emploi dans les économies
ouest-africaines sont : (i) le manque de vision en matière de formation et
d’emploi, (ii) le caractère essentiellement théorique de la formation actuelle
et (iii) la faiblesse de l’encouragement des jeunes à l’auto-emploi.
La raison
principale de l’inadéquation entre la formation et l’emploi dans nos économies
est le manque de vision des dirigeants de nos économies respectives sur le plan
de la formation. On peut illustrer cela par le « paradoxe de
l’agriculture ». En effet, nos pays sont à majorité à vocation agricole.
L’avantage comparatif par rapport aux économies occidentales est très net.
Mais, on constate que la formation dans le domaine agricole reste à un niveau
très faible ou est presque quasi inexistante. Le corollaire est que les
productions agricoles sont fortement influencées par des facteurs exogènes tels
que la pluviométrie. Les cas de déficit céréalier et de famine sont fréquemment
reportés dans la région (Par exemple, en lors de la campagne 2011-2012, le
Burkina Faso avait un déficit céréalier de 31 000 tonnes).
De nos jours,
on constate une certaine marginalisation des métiers agricoles de la part des
jeunes. Il faudrait à tout prix inciter les jeunes à opter pour l’agriculture
car non seulement, les possibilités dans ce domaine sont énormes, mais aussi et
surtout ce secteur constitue un levier important pour la croissance de nos
économies. Il n’est pas nécessaire de subventionner ces métiers car du fait de
l’avantage comparatif que nos économies ont dans le domaine agricole, une bonne
gestion de ce secteur permettra de générer suffisamment de revenu pour les
personnes exerçant dans ce secteur.
L’accent est
mis sur les filières « classiques » telles que les sciences
économiques, les sciences juridiques et politiques, les lettres modernes, etc.
Non pas que ces filières ne sont pas importantes pour nos économies, mais au
regard du nombre d’étudiants qui sont inscrits dans ces filières et des besoins
de l’économie, la question de l’optimalité des choix se pose avec acuité. Dans
la majeure partie de nos pays, les effectifs des trois filières ci-dessus
citées sont, de loin, les plus élevés par rapport à toutes les autres filières
et la tendance reste haussière. Cela crée de l’inflation scolaire qui constitue
tout simplement un gaspillage du peu de ressources dont disposent nos
économies.
Un autre
facteur non négligeable de l’inadéquation entre la formation et l’emploi est le
caractère essentiellement théorique et très peu pratique des filières de
formation. A cet effet, on peut citer l’ancien Président sénégalais, Me
Abdoulaye Wade lors d’une cérémonie de remise de prix aux lauréats d’un
concours en 2010: « notre système paraît trop théorique, alors que la pratique
y a toute sa place pour avoir des ressources humaines de qualité, capables de
s’adapter rapidement au monde du travail ». En effet, les systèmes éducatifs
dans tous les pays ouest-africains restent très théoriques. Ce fait est
unanimement reconnu aussi bien par les apprenants que par les employeurs.
En outre, on
peut ajouter le fait que les programmes n’intègrent pas des formations qui
permettraient aux apprenants d’avoir tous les outils qu’il faut afin d’opter
pour l’auto-emploi ,par exemple, au détriment de la situation de wait and see dans laquelle la jeunesse
se trouve plongée. Les apprenants ne se voient pas apprendre cette culture
d’entreprendre qui permettrait à chacun de disposer de tous les atouts qu’il
lui faudrait pour s’insérer dans le marché de l’emploi en dépit d’une offre
d’emploi nettement faible par rapport à la demande d’emploi.
Les principales
raisons de l’inadéquation entre la formation et l’emploi que nous avons
évoquées ci-dessus, en plus d’autres raisons, sont de nature à avoir des
conséquences désastreuses pour nos économies.
Les conséquences de l’inadéquation entre formation et
emploi
On peut
distinguer les conséquences de l’inadéquation entre la formation et l’emploi à
deux (2) niveaux : sur le plan de la croissance dans la région et sur le
plan de la stabilité de la région.
Concernant la
croissance, l’inadéquation entre la formation et l’emploi crée deux
problèmes : l’un au niveau de la demande d’emploi et l’autre au niveau de
l’offre d’emploi. Au niveau de l’offre d’emploi, les entreprises sont
rationnées dans leur demande de travail. Cela a pour corollaire de réduire le
niveau de production. Au niveau de la demande d’emploi, les diplômés n’arrivent
pas à s’insérer dans le marché de travail. L’inactivité va user leur stock de
connaissance. Ce qui constitue une grosse perte pour ces individus et pour la
société toute entière car ce sont des sommes importantes qui ont été investies
dans la formation de ces individus.
L’un dans
l’autre ces deux problèmes vont entrainer une faiblesse de la croissance
économique. Cette faiblesse de la croissance va entrainer une baisse du niveau
de la demande d’emploi de la part des entreprises. Ce qui à son tour va
entrainer une faiblesse de la croissance. On se retrouve alors dans un cercle
vicieux de sous-emploi et de faible croissance.
La deuxième
grande conséquence est relative à la stabilité de la région. Cette stabilité de
la région peut se trouver menacée par les risques d’instabilité dans chacun des
pays de la région. En effet, le chômage massif des jeunes constitue une bombe à
retardement pour nos pays. Du fait de leur frustration, à la moindre secousse,
les jeunes sont susceptibles d’exprimer cette frustration de façon très
violente. Ils sont aussi facilement manipulables par tout individu de mauvaise
intention.
La question de
l’adéquation entre la formation et l’emploi est donc une préoccupation majeure
à laquelle nos Etats ont intérêt à trouver une solution dans les plus brefs
délais au risque de demeurer dans cette situation de trappe à pauvreté et de
perdre la stabilité relative dont fait preuve la région ouest-africaine.
Pistes de
solution
Dans les lignes
ci-dessus, nous avons présenté les raisons de l’inadéquation entre la formation
et l’emploi. Une présentation des principales conséquences que cette situation
peut engendrer a été faite.
Dans la suite
ce cette section, nous nous attèlerons à présenter des pistes de solution au
problème de l’adéquation formation-emploi.
Il serait
beaucoup plus avantageux que nos systèmes de formation s’appuient sur le modèle
suivant. Il s’agit d’un modèle qui a été élaboré en 1965 par Hollister (OCDE,
1965) dans le cadre du Projet Régional Méditerranéen. Mais la date
d’élaboration de ce modèle n’entame en rien sa pertinence au regard de nos systèmes
éducatifs actuels et des besoins de nos économies respectives. Les principales étapes de ce modèle
sont :
1. Estimation
de l’output total de l’économie pour la période considérée
2. Estimation
des outputs sectoriels à la même période
3. Estimation
de la productivité du travail par secteur
4. Estimation
de la distribution des qualifications dans chaque secteur
5. Estimation
du nombre d’individus par secteur et par qualification
6. Addition
par qualification
7. Estimation
du nombre d’individus par niveau d’éducation nécessaire pour satisfaire les
besoins définis (relation formation-emploi)
8. Estimation
par niveau d’éducation du nombre d’individus issus de la population active
encore en activité à la date-objectif
9. Par
soustraction, on obtient le nombre de diplômés nécessaires par niveau
d’éducation pour couvrir les besoins résiduels.
Ce
modèle aussi simple soit-il permet de mettre en place des systèmes éducatifs
plus efficients et performants que ceux
existants actuellement.
On
commence par estimer l’output total de l’économie, c’est-à-dire toute la
richesse que l’on compte créer sur une période donnée. Une fois la richesse
totale estimée, on évalue les apports que chaque secteur de l’économie fera
afin d’atteindre le niveau de richesse que l’on s’est fixé comme objectif. Après que l’on ait déterminé la productivité
et les qualifications par secteur qui permettront d’atteindre le niveau
d’output sectoriel cherché, on peut déterminer le nombre de travailleurs par
secteur et par qualification. Dès lors, en faisant l’addition des individus par
qualification, on obtient le nombre d’individus par niveau d’éducation
nécessaires pour satisfaire les besoins définis. Cette étape est très
importante car c’est elle qui permet de faire le lien direct entre besoin de
formation et besoin d’emploi. Le besoin en termes d’emploi étant connu, on
évalue le nombre d’individus encore en activité à la date-objectif. Une fois
cela fait, par soustraction de ce nombre aux besoins en termes d’emploi, on
peut déterminer le nombre exact d’individus qu’il faut former. Connaissant donc
le nombre d’individus qu’il faut former, on évite facilement le gaspillage de
ressources.
Pour
résumer ce modèle, on peut dire que l’on part d’une vision bien précise de
l’économie et que c’est sur la base de cette vision que l’on veut atteindre
dans l’économie qu’on fixe le niveau d’emploi et par voie de fait qu’on exprime
les besoins en termes de formation.
L’adoption
d’un système éducatif basé sur un tel modèle permet non seulement de réduire
les coûts liés au système lui-même, mais aussi et surtout il permet d’employer
de façon efficiente toute la main-d’œuvre disponible.
Toutefois,
il peut arriver que l’offre d’éducation soit inférieure à la demande
d’éducation. Dans ce cas, on peut palier à ce problème en intégrant dans les programmes
des formations pratiques. Ces formations pratiques permettront aux individus de
s’auto-employer. Plus il y’aura d’individus hautement qualifiés (tant sur le
plan des connaissances théoriques que pratiques) dans l’économie plus les
entreprises seront incitées à offrir de l’emploi car la productivité du travail
augmente avec la qualification de l’individu. On aura alors une forte
croissance qui entrainera une hausse de
la demande d’emploi qui va entrainer à son tour une croissance encore plus
forte. On passera alors du cercle vicieux au cercle vertueux de la croissance.
Conclusion
Au
terme de notre analyse, il est ressorti que la principale raison de
l’inadéquation entre la formation et l’emploi est un manque de vision de la
part de nos dirigeants sur le plan de la formation. A cela s’ajoutent le
caractère essentiellement théorique de nos systèmes de formation et la
faiblesse de la promotion de l’auto-emploi chez les jeunes.
Ce
phénomène de l’inadéquation entre formation et emploi peut avoir des effets
néfastes tant sur la croissance économique que sur la stabilité des Etats de la
sous-région ouest-africaine. Ces effets néfastes sur la croissance vont à leur
tour affecter le niveau d’emploi de sorte que les économies se retrouvent dans
un cercle vicieux de sous-emploi et de faible croissance.
En vue
de remédier à cette situation peu reluisante pour nos économies, il est grand
temps de mettre en place un système de formation qui tienne compte de toutes
les caractéristiques de l’offre et de la demande de travail, mais aussi qui
s’inscrive dans une optique beaucoup plus globale de facteur de production pour
nos économies. Un tel système peut être mis en place dans nos économies en se
basant sur des modèles tels que celui de Hollister. De plus, la question de la
promotion de l’emploi et l’accompagnement de structures œuvrant dans le domaine
de l’employabilité ou de structure telles que les mouvements et associations de
jeunesse permettra de rendre encore plus efficace le système de formation pour
une adéquation formation-emploi encore plus prononcée.
Toutes
ces politiques n’auront un sens qu’à la seule condition que la jeunesse
ouest-africaine comprennent que l’avenir de cette région est entre ses mains et
qu’il faudrait qu’elle sorte de cette léthargie dans laquelle elle se trouve et
qu’elle devienne plus active au regard de tous les challenges auxquels la
région fait face.